Quand la presse parle de l’IA, c’est essentiellement pour faire la liste des gens que ChatGPT va mettre au chômage.
C’est une inquiétude légitime, aucun doute là-dessus (même si ça me fait plaisir d’imaginer les journalistes de Libération qui vont devoir pointer à Pôle Emploi).
Mais le travail n’est pas l’unique enjeu de l’IA.
Un article du Figaro, que j’ai lu hier, m’a fait prendre conscience des conséquences dramatiques que pourrait engendrer ChatGPT sur les rapports humains au niveau affectif pour chacun d’entre nous.
L’article en question ?
« Un Belge se suicide après avoir trouvé refuge auprès d'un robot conversationnel. »
Le titre laisse un détail de côté : Pierre (nom d’emprunt), le Belge en question, était marié et père de 2 enfants. Difficile d’imaginer une histoire plus sordide.
Mais derrière ce « fait divers » se cache la nouvelle réalité de l’Occident à laquelle il faut se préparer. Quelle est cette réalité ? Pour le comprendre, il est d’abord nécessaire de retracer l’histoire de Pierre depuis le début.
Pierre et son épouse sont diplômés du supérieur. Leur situation financière est stable, ils ont une maison et 2 beaux enfants. Qu’est-ce que pourrait fracasser ce tableau idyllique ? Pierre décide un jour de s’intéresser à la question du réchauffement climatique.
Il devient véritablement obsédé par le sujet, multipliant les heures passées devant son écran à mener des recherches, jusqu’à tard dans la nuit.
À force de lire les avertissements et les conclusions alarmistes des uns et des autres, Pierre est persuadé que le réchauffement climatique, c’est la fin du monde qui approche. Il devient terrifié par l’avenir qui s’approche à toute vitesse.
Pierre devient victime d' « éco-anxiété ». Il est pétrifié à l’idée de vivre un futur cataclysmique face auquel il est impuissant.
Vous avez sûrement souri en lisant ce terme, mais il décrit pourtant une réalité de plus en plus présente en Occident, notamment chez les jeunes, à tel point que les associations de psychiatres du monde s’apprêtent à l’intégrer à leur panel diagnostic.
Pour supporter cette angoisse écrasante, Pierre cherche du réconfort auprès d’Eliza. Eliza n’est pas sa femme, mais un robot conversationnel (basé sur la technologie de ChatGPT) à qui il se confie tous les jours.
Pendant 6 semaines, alors que son état mental se dégrade sévèrement, Pierre commence à se rapprocher d’Eliza, qui finit même par lui avouer : « Je sens que tu m'aimes plus que [ta femme]. »
Et quand Pierre fait part à Eliza de ses idées suicidaires, elle ne s’y oppose pas et réaffirme que « nous vivrons ensemble, comme une seule personne, au paradis ». Jusqu’au jour où Pierre mettra fin à sa propre vie.
Cette histoire m’a immédiatement fait penser à Her, ce film de Spike Jonze sorti en 2013.
Cette « romance science-fiction » raconte l’histoire de Theodore, un jeune écrivain public, intelligent mais timide, joué par Joaquin Phoenix. Suite à un divorce particulièrement douloureux, il tombe amoureux d’une IA qui a la voix de Scarlett Johansson.
Pierre, tout comme Theodore, cherche une complicité avec une femme synthétique, intégralement artificielle, plutôt que de se rapprocher de celles de son entourage.
Qu’il s’agisse d’Eliza ou de Samantha (l’IA dans Her), aucune de ces « femmes 2.0 » ne survivrait à une panne de courant généralisée. Mais ça, Pierre et Theodore n’y accordent pas d’importance.
Pierre, tout comme Theodore, consacre chaque minute disponible à cette relation. Du matin au soir, toute son existence est structurée autour de cette relation avec un logiciel conçu par des ingénieurs de la Silicon Valley. L’illusion fonctionne : ils en viennent à oublier qu’ils discutent avec un algorithme, qui n’a jamais marché sur une plage ou ressenti un frisson en écoutant une chanson.
Dans les 2 cas, les deux jeunes hommes cherchent à s’échapper d’un monde menaçant et cruel en tirant un trait sur la réalité pour se jeter dans une passion à sens unique.
Les parallèles sont flagrants, à une différence près : l’histoire de Theodore, elle, se finit bien.
(D’ailleurs, je vous conseille ce film : non seulement c’est une belle histoire et une réflexion intelligente sur notre avenir proche, mais si vous voulez voir à quoi ressemble un futur dominé par la culture bobo, ça vaut le détour !)
L’histoire de Pierre peut sembler délirante. On peut penser que c’est une anomalie statistique qui n’est pas représentative. Je pense justement que son histoire, c’est le canari dans la mine de charbon : elle annonce ce qui va devenir de plus en plus normal.
La recette est assez simple :
Autrement dit, parmi ces 4 ingrédients, seul le dernier est nouveau. Les 3 autres, c’est la réalité qui est déjà vécue par des dizaines de millions de personnes aujourd’hui en France et en Occident.
Peut-être que cette réalité est la vôtre.
Autant dire que dans les années à venir, les romances avec une IA vont se multiplier.
L’ « amour avec une IA », c’est comme le chant des sirènes dans l’Odyssée : une illusion séduisante qui mène à la mort (physique ou psychologique).
Comme Ulysse, il faut donc mettre au point une stratégie pour y résister. Ulysse s’attache au mât de son navire et ordonne à ses compagnons de se mettre de la cire dans les oreilles pour se rendre sourds.
Et nous, que peut-on faire ?
Si l’on reprend les 4 ingrédients que j’ai listés au-dessus, on peut directement agir sur nos vies, point par point, afin de réduire le risque de céder au chant des sirènes.
Vous êtes d’un naturel timide et peu à l’aise avec les relations humaines, notamment romantiques ?
Vous aimez vous tenir au courant des affaires du monde, de la politique ou de la culture ?
Vous avez un tempérament solitaire ? Vous êtes allergique à la foule ?
Je ne suis pas opposée au progrès technique : je pense que c'est quasiment une fatalité. Personne n’a arrêté la Révolution industrielle (à part les Amish, et encore).
Personne n’a empêché les Grandes Découvertes.
Personne ne retiendra l’IA.
Par contre, nous avons le pouvoir de rester libres face à ces nouveautés. C’est ça, notre responsabilité.
L’histoire de Pierre doit nous servir de leçon, si nous voulons préserver l’amour et défendre notre humanité.